Roman hors norme, brillant, ébouriffant, dérangeant, qui ressemble à rien de connu et lu par moi jusqu’ici.
Un mois pile pour avaler les 1100 pages du pavé.
Impression de dépucelage littéraire, de n’avoir jamais rien lu avant.
Cohen est un génie et je ne veux plus rien lire de lui pour rester sur cet ovni littéraire, sur ce livre magistral considéré comme un chef-d’œuvre, l’un des 10 meilleurs romans du vingtième siècle.
Je ne sais plus quoi lire maintenant…
Que dire sur ce livre ? Je vais me limiter à parler du thème central, l’exploration de la passion amoureuse en occultant les thèmes secondaires qui sont pourtant essentiels pour cadrer l’histoire d’amour des personnages (la noblesse, la bourgeoisie, les hauts fonctionnaires, la montée de l’antisémitisme au milieu des années 30)
Albert Cohen décortique la passion amoureuse comme jamais : C’est un auteur qui dit la vérité, sa vérité sans rien édulcorer en annonçant la couleur dès le départ : les 2 personnages sont promis à leur déclin.
L’amour passionnel est voué à l’échec et à la perte des amants, quelle qu’elle soit.
Récit très noir du début à la fin, aucun espoir, toujours la vérité implacable et cruelle.
Aucun répit dans le récit, les mots claquent à 220 km heure, on a parfois du mal à suivre, il y a des longueurs mais Cohen poursuit sa démonstration implacable et épouvantable. C’est vraiment dur et en même temps son style pour décrire la passion est vraiment beau, vraiment émouvant, parfois même très sensuel tout en restant pudique. Allez soyons honnête tout le monde rêve de la grande passion amoureuse, de l’île déserte avec sa dulcinée pour ne faire que s’aimer du matin au soir….mais après avoir lu ce livre, on y réfléchit à 2 fois….car c’est une condamnation sans appel de la passion.
La passion amoureuse n’est possible que si on est jeune, beau, bien socialement ; Ce n’est qu’une gigantesque supercherie puisque que seul le coté bestial, « la viande », « les gorilleries » comptent et sont légitimés par les convenances sociales.
Dès que l’on vieillit, plus de place pour l’amour physique et la passion, terminé pour la femme dès que ses seins tombent ou dès que l’homme perd 4 canines ou son rang social.
De plus les amants condamnés par leur passion s’étouffent rapidement et sans social autour il est impossible de faire durer la passion, l’ennui vient très vite et l’enfermement est total.
Style très spécial : des pages entières de monologues parlés des personnages et de monologues intérieurs, sans aucunes phrases ni ponctuation. D’habitude je suis totalement hermétique aux phrases qui n’en finissent pas, j’aime ce qui claque, ce qui est synthétique, ce qui se rapproche des pensées et aphorismes. Là, je suis fasciné par cette écriture, je sais pas pourquoi, on à l’impression d’un tourbillon autour de nous et on en sort épuisé.
Schéma de base très simple : la femme (Ariane) , le mari (Adrien) , l’amant (Solal).
Premier monologue intérieur d’Ariane et ça suffit pour tomber amoureux du personnage : jeune femme belle aux yeux de biche, distinguée, torturée, complexe, mariée mais qui n’aime pas son mari et vit dans son monde intérieur, joue du piano et lit beaucoup,même dans son bain, proche de la nature et des étoiles, toujours prête à parler aux animaux et à les sauver ( à défaut de parler aux humains) ,proche des chevaux (ancienne cavalière) et des crapauds, qui parle seule dans son bain, s’embrasse sur son miroir, bref un peu barée, un peu princesse et un peu hystérique aussi ….orpheline très tôt, ayant de plus perdu sa soeur adorée . Jeune femme réservée et pudique mais capable de folies pour celui qu’elle aime, de tout lui donner. Bref un amour d’Ariane, qui de plus , cerise sur le gâteau rêve d’Himalaya…
Le mari : Adrien, un gentil couillon sans cervelle, fonctionnaire qui ne vit que par le regard de ses supérieurs, préoccupé seulement de lui-même et de sa progression dans la voie hiérarchique, de la taille de son bureau et du niveau de confort des chambres d’hôtel lorsqu’il part en mission, des personnes qu’il peut inviter chez lui en fonction de leur rang social….bref un pauvre bougre qui ne vit que par le regard des autres et de sa femme en particulier dont il voudrait être admiré.
Et pourtant il l’aime son Ariane, il est attentionné et gentil mais il est incapable d’aimer vraiment de donner quoi que soit d’épanouissant même si au fond c’est un amour sincère et émouvant.
Solal est piégé par la recherche de cet amour passionnel qui ne le rend pas heureux malgré ses multiples amantes et amoureuses. Il méprise ses conquêtes, est parfois limite misogyne et en même temps il sait qu’il a accès à la passion amoureuse seulement par ce qu’il est puissant, chef, jeune et beau. Il voudrait être aimé sans apparat pour ce qu’il est vraiment, la première rencontre il tente de séduire Ariane déguisé en vieillard aux dents cassées et elle le repousse ce qui la condamnera ,car Solal la séduira alors par la force .
Solal est possédé, limite schizophrène, il sait qu’il entraînera Ariane vers la déchéance et qu’il la rendra malheureuse et qu’il se rendra malheureux…il le sait dès le début mais il lui ment alors qu’elle est totalement sincère et naïve. Au fond Solal rêve d’un amour tendresse, d’un amour amitié voir même d’ un amour maternel, en somme d’un amour pur et impossible mais est incapable de résister à l’appel de la passion.
Fou de jalousie vers la fin de leur passion, il va devenir malgré lui le bourreau d’Ariane, totalement consentante et soumise à son Seigneur, prête à tout pour l’aimer et le garder.
Quand Ariane quitte Adrien elle lui écrit simplement : « toi si bon, te faire souffrir, c’est affreux…pardonne moi mais j’ai besoin d’être heureuse. Il est l’amour de ma vie, le premier, le seul. »
Quand Solal comprend que leur amour est condamné que la déchéance passionnelle est inéluctable et qu’il pète les plombs il se dit à lui même ; « Du joli, la passion dite amour. Si pas de jalousie ennui. Si jalousie, enfer bestial. Elle est une esclave, une brute. Ignobles romanciers, bande de menteurs »
Pour information, une adaptation cinématographique est en cours mais le roman est réputé inadaptable. De plus pour le rôle d’Ariane, la production a choisi un top modèle Russe genre poupée Barbie aux cheveux longs et déjà ça fout tout en l’air car c’est pas du tout Ariane. A voir mais aucun film ne pourra traduire la force des mots de Cohen, Cela ne fait aucun doutes.
Vraiment, je suis enchanté, ému, surpris et totalement chamboulé par cet ouvrage. Je ne sais pas si je trouverai un jour un autre livre aussi fort autour d’une histoire d’amour, un autre livre qui me fera autant vibrer.
Belle du seigneur : « Départ ivre vers la mer »…vers l’amour…vers …
Si Vous lisez ces lignes et avez lu Belle du Seigneur, je vous en prie, donnez moi vos impressions, votre ressenti, en laissant votre commentaire (il vous suffit d’indiquer un pseudo pour poster un commentaire).
Sivous avez lu cet artcicle jusqu'ici, je vous en remercie, et peut être aimerez vous lire : Stefan Zweig: " Lettre d'une inconnue"