Je viens de lire la première biographie de Charlotte Brontë, publiée en 1857, soit seulement deux ans après sa mort, et écrite par Miss Elizabeth Gaskell qui s’était liée d’amitié avec Charlotte dans les dernières années de sa vie.
Cette biographie a été écrite à la demande du père de Charlotte Brontë, à la mort de sa fille.
Ce livre est vraiment remarquable pour qui s’intéresse aux Brontë, bien écrit et comportant une multitude d’extraits des lettres de Charlotte. Elizabeth Gaskell s’attache à faire un portrait détaillé de l’auteur de Jane Eyre et elle y parvient sans tomber dans la complaisance, chose qu’aurait détestée Charlotte.
Simplement elle occulte la frénésie d’écriture des enfants Brontë, quasi obsessionnelle à l’époque de la légende d’Angria écrite par Emily et Anne et de celle du Gondal écrite par Branwell (le frère de la famille) et Charlotte.
De même, la passion amoureuse unilatérale de Charlotte Brontë pour Mr Heger, son professeur de lettres à Bruxelles n’est pas évoquée alors qu’elle est au centre de l’œuvre de l’ainé des sœurs Brontë. Ceci dit, elle ne pouvait pas l’être dans cette première biographie et des dizaines d’autres ouvrages l’ont décrite ensuite.
La fin est un peu plus décevante car très rapide mais comme le livre est sorti juste après la mort de Charlotte, les évènements les plus récents étaient les moins faciles à décrire: il y avait peu de documents disponibles immédiatement.
Il est frappant de voir, à force de lire des biographies de cette famille mythique et immortelle (j’en suis à la quatrième), à quel point les récits des sœurs Brontë étaient alimentées par leur vraie vie. Les personnages des romans ont quasiment tous existés, les lieux également, et même certaines péripéties. J’ai notamment appris ici que l’histoire du mariage impossible de Jane Eyre avec Rochester, ce dernier étant déjà marié avec une femme atteinte de folie est un fait divers qui s’est produit non loin de là où se trouvait Charlotte Brontë. Bien entendu le génie des sœurs Brontë et leur imagination débordante transformaient le tout en des œuvres romanesques très en avance pour leur temps. Mais contrairement à l'idée répandue qu'il s'agirait de livres seulement romantiques ou gothiques, les soeurs Brontë n'ont fait que traduire la vérité et leur réalité, c'était une forme d'auto-fiction avant l'heure.
Je n’en dirais pas plus de cette biographie que je vous conseille d’autant plus qu’Elizabeth Gaskell est une auteur célèbre du dix neuvième siècle et que sa plume se lit presque comme un roman.
Par contre, peut être que cela vous intéressera d’avoir quelques éléments sur l’accueil critique et public des œuvres des Brontë ( je sens que tout le monde frétille d'impatience ).
- Le premier ouvrage fut un recueil de poèmes des 3 sœurs édité en 1846 (sous le pseudonyme de Currer, Ancton et Ellis Bell). Les poèmes d’Emily Brontë furent encensés par les critiques, ceux de ses sœurs jugés bien plus faibles. L’éditeur vendit seulement 2 recueils de l’ouvrage.
- En 1847, 3 récits en prose sont proposés aux éditeurs : Agnès Grey de Anne, Les Hauts de Hurlevent d’Emily et Le Professeur de Charlotte. Les 4 premiers éditeurs refusent, le cinquième accepte de publier les livres d’Emily et de Anne mais pas celui de Charlotte. Celle si ayant commencé Jane Eyre l’année précédente, travaille d’arrache pieds et arrive à faire publier son livre chez un autre éditeur, 2 mois avant ceux de ses sœurs. Jane Eyre est un succès critique et public immédiat, nombreuses rééditions et forte demande à l’étranger. Agnès Grey est jugé assez faible par la critique mais s’écoule correctement. Les Hauts de Hurlevent suscite des critiques et des réactions du public très hostiles mais se vend plutôt bien. Le Succès de Jane Eyre permet une réédition des œuvres d’Anne et Charlotte
- En 1848, Anne publie « Le Fermier » connu ensuite sous le nom du "Locataire de Wildfell Hall." Bon accueil du public, critiques modérés. Emily meurt cette année là, on pense qu’elle travaillait sur un deuxième roman mais qu’elle a brûlé le manuscrit partiel sentant la mort venir. A partir de sa mort, Les Hauts de Hurlevent sera peu à peu réhabilité et il deviendra un roman culte et un classique. Le disours d'Emily est sensiblement le même que celui de Charlotte mais sans l'auto-censure, c'est la plus douée et la plus fascinante des soeurs.
- En 1849, Anne meurt et Charlotte Publie Shirley. Ce deuxième roman est acheté en masse par le public et divise les critiques. Certaines sont dithyrambiques, d’autres assassines.
- En 1853, Charlotte Publie Villette : le livre est encensé par la critique et plébiscité par les lecteurs.
- Le 29 (ou le 31 suivant les sources) mars 1855, Charlotte meurt, elle laisse des fragments de 3 nouveaux textes et le manuscrit inédit du Professeur, qui sera publié après sa mort. Elle meurt seulement 9 mois après s'être mariée avec le révérend Nicholls et en couches : son état physique et peut être psychologique ne lui a pas permis de supporter sa grossesse. Une mauvaise grippe attrapée lors de deux escapades avec son mari l'avaient affaiblie. A quelques semaines d'intervalle, Flossie la chienne des Brontë puis Tabby, la servante de toujours (que les Brontë avaient tenu à garder dans ses vieux jours malgré son état de santé et qu'ils ont soignée comme un membre de leur propre famille) venaient de mourir. Peut être un mauvais présage.
Charlotte toucha une somme forfaitaire de 500 livres sterling pour les droits d’auteurs de Jane Eyre. Pour ses deux autres romans publiés de son vivant, Shirley et Villette, elle obtint exactement la même somme soit 1500 livres sterling en tout.
Pour avoir un ordre d'idée de cette somme, à l'époque une institutrice bien payée pouvait espérer gagner 50 livres par an...
A suivre...je n'en ai pas fini avec les Brontë, le blog sera fermé bien avant que je cesse de m'intéresser à cette famille...